lundi 22 juin 2009

article publié sur le site lors.fr/

Voici un article sur l'UPJV

N°41 // Juin 2009
Éditorial par Théo Haberbusch

L’heure du bilan est-elle arrivée pour Valérie Pécresse ? Un remaniement ministériel paraît aujourd’hui imminent et la question de l’avenir au sein du gouvernement de la ministre, candidate aux élections régionales en Île-de-France, est posée. Pourtant, son entourage répète régulièrement qu’elle veut rester aux commandes. Pas de bilan mais de l’action, telle est sa stratégie. Depuis quelques semaines, depuis que le conflit dans les universités s’est assoupi, la ministre multiplie donc les annonces et les discours volontaristes.
Cette semaine, lors des Rencontres universités-entreprises organisées par l’AEF et l’ORS, elle a fixé le cap des mois à venir. Bien que la loi LRU soit toujours en rodage dans les établissements et que le CNRS ne soit pas encore en ordre de marche, elle a assuré qu’une deuxième phase de la réforme était déjà lancée : le rapprochement universités-grandes écoles au sein des pôles de recherche et d’enseignement supérieur. De 83 universités et 225 écoles, elle espère pouvoir passer à 15 pôles régionaux… d’ici à la fin de l’année. Un objectif politique clair qui va se frotter à la réalité du terrain dès la rentrée. Car de Grenoble à Marseille, en passant par Montpellier et surtout Saclay, la mise en commun des services n’est pas une mince affaire.
Les difficultés sont peut-être encore plus lourdes dans les « petites » et « moyennes » universités, auprès desquelles l’ORS a enquêté ce mois-ci. Quelles stratégies adopter quand on est voisin des vastes pôles en gestation ? C’est ce que nous sommes allés voir dans l’Est de la France. Comment attirer des étudiants quand ils préfèrent rejoindre les grandes métropoles ? L’université du Havre a peut-être trouvé certaines réponses. Peut-on développer une recherche de qualité dans l’orbite de Paris ? Le défi est posé à l’université de Picardie.
DOSSIER
Ces petits établissements qui résistent aux grands
Au sommaire du dossier
 Dans l’Est, on s’allie pour durer
 Recherche : la jeune université de Picardie n’a pas encore trouvé sa place
 Anne Ferreira, conseil régional : « Si la Picardie perdait l’UPJV, ce serait une catastrophe »
 Université du Havre : le pari d’une vie étudiante « à l’américaine »
Universités, Recherche // Stratégie
Recherche : la jeune université de Picardie n’a pas encore trouvé sa place
Publié le 19 juin 2009 Par Sylvain Marcelli
Les Picards vivent dans la crainte de voir leur université se transformer en simple « collège universitaire », et ce malgré ses 21 000 étudiants. Si elle ne veut pas plafonner au niveau licence, l’UPJV doit tout miser sur la qualité de sa recherche.
Sa taille ne la classe pas parmi les petites universités mais elle ne lui permet pas non plus de prétendre se hisser parmi les grands pôles de formation et de recherche voulus par Valérie Pécresse. © S. Marcelli/AEFC
La pancarte « Sauvons l’université » est posée en évidence derrière son bureau. Prête à être ressortie lors d’une prochaine manifestation. Après quatre mois de contestation contre les réformes Pécresse, Geneviève Prévost, professeure au laboratoire de biologie animale à l’université de Picardie Jules-Verne (UPJV), ne désarme pas. Et juge toujours la « situation frustrante et préoccupante ». « Dans cinq ou dix ans, nous aurons du mal à défendre l’idée qu’un master de l’UPJV a la même valeur qu’un master de Lille, Lyon, Montpellier ou Paris 6 », redoute-t-elle. « Faute de postes et de moyens, notre université risque de ne pas pouvoir préserver toutes ses forces de recherche. Et la faculté des sciences risque de redevenir un simple collège universitaire, comme avant la création de l’université d’Amiens. »
Catastrophisme ? L’université est trop jeune pour avoir oublié qu’elle n’a pas toujours existé. Dans les années 1950, les formations de droit, de médecine, de pharmacie, de sciences et de lettres étaient rattachées aux facultés de Lille. Il faudra attendre 1969 pour que le ministère consente, après les tumultes de mai, à créer un établissement autonome à Amiens. Mais une université ne s’établit pas en un jour. Alors qu’elle fête ses quarante ans, l’UPJV doute plus que jamais de son avenir – cette crise d’identité est l’un des ressorts de la forte mobilisation anti-LRU des deux dernières années.
En concurrence avec Lille et Paris
« Dans cinq ou dix ans, nous aurons du mal à défendre l’idée qu’un master de l’UPJV a la même valeur qu’un master de Lille, Lyon, Montpellier ou Paris 6 », redoute Geneviève Prévost (à droite), professeure au laboratoire de biologie animale à l’UPJV. © S. Marcelli/AEFC
En signant le contrat quadriennal 2008-2011, le ministère a consenti à engager 5,4 millions d’euros pour la politique de recherche de l’université (+ 20 % par rapport
au contrat précédent). Mais cela n’a pas suffi à calmer les inquiétudes au sein de l’établissement. Certes, sa taille (21 000 étudiants) ne le classe pas parmi les petites universités mais elle ne lui permet pas non plus de prétendre se hisser parmi les grands pôles de formation et de recherche voulus par Valérie Pécresse. Pire, comme le souligne le contrat quadriennal 2008-2011, « la proximité des établissements universitaires de l’Île-de-France et du Nord-Pas-de-Calais accroît les difficultés que l’université rencontre pour définir son identité en matière de recherche ». Un signe ne trompe pas : beaucoup d’enseignants-chercheurs travaillant à Amiens habitent Paris ou Lille…
Un paradoxe alors que l’UPJV est plus que jamais ancrée dans son territoire, grâce au soutien du conseil régional de Picardie. « Lorsque le ministère finance une allocation de thèse, la région en finance deux », résume Olivier Goubet, directeur du Lamfa, le laboratoire amiénois de mathématique fondamentale et appliquée. La région apporte à l’université 13 % de ses ressources. Elle soutient les activités des trois pôles de compétitivité implantés sur son territoire (Industries et Agro-ressources, avec la Champagne-Ardenne, I-Trans et UpTex avec le Nord-Pas-de-Calais). Par cette politique, la collectivité cherche à combler un retard accumulé depuis des années : les dépenses de R&D ne représentent en effet qu’une faible part du PIB régional (1,1 % en 2003). Un motif aussi pour elle de pousser à des alliances entre établissements [lire notre interview].
Peur du désengagement du CNRS
L’UPJV est plus que jamais ancrée dans son territoire : « Lorsque le ministère finance une allocation de thèse, la région en finance deux », résume Olivier Goubet, directeur du Lamfa. © S. Marcelli/AEFC
Même si l’effort du conseil régional est reconnu à sa juste valeur au sein de l’université, les chercheurs restent très attachés au soutien national des grands organismes. « La notion de copilotage est essentielle, revendique ainsi Olivier Goubet, dont le laboratoire est une UMR CNRS. Nous arrivons à exister grâce à l’appui de l’établissement, soutenu par la région, mais aussi grâce à la politique très forte du CNRS dans le domaine des mathématiques. » Les élus locaux n’ont en effet pas vocation à soutenir la recherche fondamentale.
Les chercheurs du Curapp (laboratoire de sciences politiques et sociales) revendiquent eux aussi l’association avec le CNRS. « Aujourd’hui, un étudiant de philosophie peut suivre un master ou préparer une thèse à Amiens, parce qu’il y a ici une recherche vivante », souligne Bruno Ambroise. Ce jeune chercheur du CNRS affecté en 2008 à l’UPJV ne cache pas son inquiétude face à la menace d’une réduction du nombre d’unités mixtes de recherche. Une crainte recoupée par les chiffres donnés par l’Aeres : 26 % seulement des unités de recherche de l’UPJV sont associées avec des organismes de recherche, alors que la moyenne nationale pour les universités de même typologie est de 58 %. « Si demain le Curapp perdait son statut d’unité CNRS, le département philosophie aurait beaucoup plus de mal à défendre son existence et à financer ses recherches », constate-t-il. Ce serait d’autant plus dramatique que l’université d’Amiens n’est pas riche en UMR : elle a perdu voilà plusieurs années sa deuxième UMR en SHS – psychanalyse et pratiques sociales –, quand celle-ci a choisi de se relocaliser à Paris 7 où elle avait un rattachement secondaire.
Plus largement, le conflit autour de la refonte du décret de 1984 a montré à quel point les enseignants-chercheurs sont attachés à une gestion nationale des carrières et des priorités de recherche. C’est encore plus vrai dans un établissement comme l’UPJV, selon Barbara Schapira, maître de conférences au Lamfa. « Les arbitrages locaux sont extrêmement difficiles dans une université pluridisciplinaire, explique-t-elle. Sur quels critères privilégier tel ou tel domaine de recherche ? Comment répartir les moyens ? Un exemple : notre équipe décroche beaucoup de primes d’encadrement doctoral et de recherche (PEDR). Je suis certaine que nous n’en aurions pas eu autant localement. »
Un effort de restructuration
« La logique du PRES est absurde en matière de recherche, explique Frédéric Lebaron, directeur du Curapp. Il ne faut pas plaquer des impératifs technocratiques sur des réalités très mouvantes. »
© S. Marcelli/AEFC
Pour ne pas perdre ce double soutien local et national, l’université n’a d’autre choix que de faire la preuve de ses performances. Depuis 2004, l’accent a été mis sur la valorisation de la recherche, avec des effets positifs : le montant des contrats de recherche industrielle et des contrats ANR (Agence nationale de la recherche) a doublé (sept projets retenus en 2006), tandis que l’établissement a déposé quinze brevets, dont neuf génèrent des ressources. Mais cela ne suffit pas. « Consciente de ses faiblesses, l’UPJV souhaite mettre en place une stratégie globale visant à acquérir une plus forte lisibilité et une meilleure attractivité nationale et internationale », annonce le contrat quadriennal 2008-2011.
Cette stratégie porte en particulier sur la recherche dans le secteur des sciences humaines et sociales, que l’Aeres a jugé « peu lisible et moyennement performante » dans son rapport d’évaluation. Un vaste chantier de restructuration est en cours, à l’image de ce qui a déjà été réalisé dans les domaines des sciences et technologies et des sciences de la vie. L’université a déjà fortement diminué le nombre de ses équipes en SHS (de 19 à 12). Et, depuis 2005, elle consacre la quasi-totalité du bonus qualité recherche (BQR) à ce secteur pour l’organisation de colloques, des publications, des équipements, sachant que le taux de prélèvement sur la dotation annuelle recherche du contrat quadriennal est de 15 %. Reste aujourd’hui à prouver la pertinence scientifique de ces regroupements de laboratoires : c’est tout l’enjeu du prochain contrat quadriennal.
Vers qui se tourner ?
Dans un paysage marqué par un puissant mouvement de concentration, l’université de Picardie doit aussi trouver des partenaires pour conforter sa stratégie de recherche. Son président, Georges Fauré, voudrait nouer plus de liens avec l’université de Reims, l’Université de technologie de Compiègne, voire l’université de technologie de Troyes. « Nous nous dirigeons vers la constitution d’écoles doctorales communes », annonçait-il en septembre dernier (1). La construction d’un PRES de collaboration est également dans les tuyaux.
Le potentiel recherche de l’UPJV en chiffres
Cette logique de site se heurte pourtant à des contraintes purement géographiques : Reims, situé à 173 kilomètres d’Amiens, est plus loin que Lille ou Paris. Elle suscite aussi des réticences. « La logique du PRES est absurde en matière de recherche, tranche Frédéric Lebaron, directeur du Curapp. Il ne faut pas plaquer des impératifs technocratiques sur des réalités très mouvantes : il peut être aussi légitime, voire plus, de multiplier les collaborations avec Lille, Paris ou Bruxelles. Pour faire de la bonne recherche, il faut faire confiance aux chercheurs. »
Les choix qui seront faits dans les prochaines années seront décisifs pour l’avenir de l’établissement picard. « Nous devons prendre le contre-pied de la tendance qui voudrait que l’UPJV devienne un collège universitaire, estime Olivier Goubet. Cette université ne doit pas avoir peur de tirer les choses vers le haut et de viser l’excellence scientifique. » Car, comme le résume crûment un enseignant-chercheur, « il sera beaucoup pardonné à une université lilloise qui se plante, tandis que l’université d’Amiens n’a pas le droit à l’erreur »…
(1) Il n’a pas été possible de le joindre pour cet article.
Le potentiel de recherche de l’UPJV en chiffres UMR : 32 équipes ou laboratoires dont 8 en cotutelle avec le CNRS, 3 avec l’Inserm. Effectifs : 520 enseignants-chercheurs et 17 chercheurs. SHS : elles regroupent près de la moitié des enseignants-chercheurs de l’université. PEDR : 15 % des enseignants-chercheurs en bénéficiaient en 2005 (moyenne nationale : 20 %). Locaux : environ 21 000 m2 sont consacrés aux activités de recherche. Un nouveau bâtiment de 6 000 m2 dédié à la recherche doit être construit sur le futur CHU d’Amiens d’ici à 2013. Sources : Rapport d’établissement de l’Aeres (décembre 2007) et contrat quadriennal (juillet 2008).
Anne Ferreira, conseil régional : « Si la Picardie perdait l’UPJV, ce serait une catastrophe »
Publié le 19 juin 2009 Par Sylvain Marcelli
« La volonté du gouvernement d’ignorer les petites universités pourrait être fatale à l’université de Picardie Jules-Verne », juge Anne Ferreira, vice-présidente chargée de la recherche et du transfert de technologies au conseil régional. Or le soutien à l’UPJV est une priorité de la collectivité.
« La région me semble être un territoire pertinent pour faire du sur-mesure et pour faciliter le travail des équipes de recherche. » D.R.
Elle est sceptique sur le choix de la ministre d’encourager la création de vastes pôles d’enseignement supérieur et de recherche. Et insiste sur la « pertinence » de la région dans les stratégies de recherche et d’innovation. Anne Ferreira, vice-présidente chargée de la recherche et du transfert de technologies au conseil régional de Picardie, revient sur la politique de ce « petit établissement » qu’est l’université de Picardie Jules-Verne.
L’ORS : L’UPJV risque-t-elle de se transformer en « collège universitaire » ?
Anne Ferreira : Personne ne sait jusqu’où peut aller ce gouvernement. La ministre n’est pas claire. Son intention en favorisant des grands pôles est-elle de renforcer Lille et Paris et de ne garder que des antennes de premier cycle à Amiens ? Une telle décision serait catastrophique pour la Picardie, qui n’aurait plus de thésards, plus de laboratoires de recherche et peut-être plus de CHU. De plus, je ne suis pas certaine que l’émergence de ces grands campus soit suivie de résultats : faire travailler les gens côte à côte ne leur apprend pas à travailler ensemble.
L’ORS : L’UPJV et l’Université de technologie de Compiègne, qui ont des vocations différentes, peuvent-elles vraiment travailler ensemble, comme les y incite le conseil régional ?
Anne Ferreira : Tisser des partenariats entre l’UPJV et l’UTC a du sens car ces deux universités ont des laboratoires et des enseignements complémentaires. Des collaborations existent déjà sur les questions de santé, sur la chimie verte ou sur la robotique, associant d’ailleurs des écoles d’ingénieurs comme l’Esiee d’Amiens ou l’institut LaSalle Beauvais. Même si ce n’est pas dans les habitudes, mieux vaut travailler ensemble plutôt que risquer l’émiettement.
L’ORS : L’échelon territorial est-il le plus adapté pour mener une politique de recherche et d’innovation ?
Anne Ferreira : La Picardie n’est pas un village gaulois. Sans l’engagement de l’État, sans les fonds européens, sans les partenariats noués avec d’autres régions ou d’autres pays, nous ne pourrions pas avancer. Mais la région me semble être un territoire pertinent pour faire du sur-mesure et pour faciliter le travail des équipes de recherche. Depuis le changement de majorité en 2004, nous avons beaucoup misé sur la matière grise, notamment en multipliant les allocations de recherche. Mais nous récoltons aussi les résultats d’une dynamique enclenchée il y a une vingtaine d’années. Si le centre de valorisation des glucides n’avait pas été soutenu, nous ne serions pas partie prenante dans le pôle de compétitivité Industries et Agro-ressources…
L’ORS : Le conseil régional a-t-il vocation à soutenir l’effort de recherche dans le domaine des SHS ?
Anne Ferreira : Innover sans prendre en compte les conséquences sur la société et l’environnement, c’est faire fausse route, comme le montre l’expérience des agrocarburants. Les sciences humaines et sociales ont leur mot à dire dans des domaines aussi divers que les risques industriels ou la chimie verte. Nous portons par exemple, avec le CHU d’Amiens et le professeur Duvauchelle [qui a réalisé la première greffe mondiale du visage en 2005], un projet d’institut baptisé Faire faces : en dehors de l’approche médicale, il s’agit de réfléchir aux questions éthiques ou psychologiques. Les SHS figurent ainsi en bonne place dans le schéma régional d’orientation pour l’enseignement supérieur et la recherche.

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