mardi 26 mai 2009

News: un article de l'huma

"La tragédie de l'ange exterminateur", Par Claude Patriat, professeur de science
politique, université de Bourgogne, L'Humanité, 23 mai 2009

http://www.humanite.fr/2009-05-23_Tribune-libre_La-tragedie-de-l-ange-exterminateur

L'université sera-t-elle punie pour l'exemple ?

« Deux verbes expriment toutes les formes que prennent ces deux causes de mort :
vouloir et pouvoir. Vouloir nous brûle et pouvoir nous détruit. » Honoré de Balzac, la Peau de chagrin.
Ainsi, le président de la République pense avoir gagné la bataille des universités : il pourra se targuer d'avoir réformé l'irréformable, d'avoir brisé la résistance d'un milieu réputé rebelle au changement. Et c'est cela qui compte avant tout pour lui : démontrer sa puissance réformatrice. Peu importe le prix à payer, qui est lourd : rupture profonde entre le pouvoir politique et
l'immense majorité de la communauté scientifique, humiliation, désarroi des universitaires
et des étudiants, discrédit jeté sur l'institution… Peu importent les méthodes :
démagogie, chantage aux examens, menaces ou répression. Et surtout cynisme éhonté : François Fillon, interpellé sur l'ouverture d'une négociation, répliquait : « Pourquoi discuter alors que 80% des universités sont maintenant au travail ? » Voilà une manière bien particulière de donner raison finalement aux bloqueurs, qui disaient n'avoir pas d'autres moyens de se faire entendre.
Posez les armes, et l'Exécutif vous fusille dans le dos ! Peu importe, enfin, pour combien de temps, le calme est retrouvé : les problèmes restent en suspens et la révolte succédera inévitablement à la désespérance.
Mais, au-delà du cas d'espèce, l'affaire devrait inquiéter tous les Français. Cette volonté irréductible de passer en force, qui n'a pas été aussi radicale ailleurs qu'en face des universitaires, en dit long sur la conception de l'exercice du pouvoir de notre président, sur son refus viscéral de tout foyer de résistance à ses volontés : l'université est un lieu éminemment
symbolique ; la rendre à merci devient une manière de la punir de son indépendance et de faire un exemple. Cela n'est pas sans rappeler la sombre figure de ce sombre XIVe siècle, que dépeint Michelet sous les traits de Charles le Téméraire : même volonté d'imposer un ordre rêvé par lui, envers et contre tous les obstacles, même désir d'affaiblir et de punir ceux qui pensent et agissent contre son projet. Avec le duc de Bourgogne, il s'agissait d'un rêve de chevalerie, il s'agissait des paisibles paysans suisses, des marchands flamands
Ici, on rêve d'une société de forts, d'hommes qui réussissent, de libre concurrence. Tant pis si le réel contredit le désir, si l'attente se fait chaque jour plus forte d'un État protecteur. L'homme de pouvoir s'abandonne aux forces aveugles et prend le masque tragique de l'ange exterminateur.
Le temps est venu de lire Balzac. On y verra que le romancier, après avoir dénoncé la diabolique logique du pouvoir, propose un remède : « Vouloir et pouvoir ; entre ces deux termes de l'action humaine, il est une autre formule dont s'emparent les sages. Vouloir nous brûle et pouvoir nous
détruit, mais savoir laisse notre faible organisation dans un perpétuel état de calme. »
Puisse-t-on saluer ce conseil avant que l'université ne devienne une peau de chagrin. Évitons le retour des loups.

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